Langues et cultures régionales - Sénateur Gérard LAHELLEC

Langues et cultures régionales

Langues et cultures régionales

 

 

 

 

Proposition de loi sur les langues et cultures régionales

 

Adoptée au mois de décembre dernier au Sénat, la proposition de loi « protection patrimoniale et promotion des langues régionales », présentée par le député breton Paul Molac, a été adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

 

Je me suis impliqué dans ce débat qui a permis un vote positif du Sénat de la loi Molac. Ce vote positif de la haute assemblée a permis à l’Assemblée nationale de voter majoritairement la conformité des dispositions de cette loi permettant l’enseignement par immersion et le financement par les collectivités des établissements dispensant cet enseignement dès l’instant que cet enseignement bilingue n’existe pas dans la commune concernée.

 

Cette disposition a été contestée devant le Conseil Constitutionnel par 60 députés de la majorité LREM. Cette instance a statué en contestant le principe de l’enseignement par immersion dans la sphère de l’enseignement public, ce qui est aussi l’avis de M Le ministre de l’Éducation nationale qui a commandité une mission spécifique sur le sujet.


Mon option quant à la défense et la promotion des langues et cultures régionales n’a pas varié sur ce sujet : une République moderne, se doit d’organiser la promotion et l’enseignement de ses langues et ce n’est pas la langue Bretonne qui menace « le français » ! Mais la culture de la mondialisation libérale !


La modification de la Constitution et la signature de la charte européenne des langues minoritaires risques de s’avérer très compliquées à obtenir ! Aussi, pour s’engager résolument dans une démarche de promotion de notre langue et de notre culture, pourquoi ne pas envisager une loi de développement de cet enseignement ?

 

Ne nous berçons donc pas d’illusions : pour les langues régionales le premier ministre aura désormais le beau rôle pour se présenter en sauveur, garantissant par exemple le contrat d’association avec les écoles DIWAN, tandis que la question de la sécurité deviendra un objet de promotion politique à la veille des prochaines consultations électorales. Comment imaginer que l’insécurité puisse être sérieusement combattue dans un pays au système éducatif si peu considéré et qui compte 5 millions de chômeurs ? Comment imaginer une véritable promotion des langues et cultures régionales avec des budgets de l’éducation toujours plus exsangues ?

 

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une politique prenant appui sur un contrat social et démocratique, c’est d’une unité populaire retrouvée pour rétablir le lien social abîmé par des décennies de politiques libérale !

 

 

 

 

A propos des langues et cultures de Bretagne

 

 

Les langues régionales en France.


En France, les langues régionales n’ont pas d’existence officielle. La France s’est construite grâce à une homogénéisation des différentes composantes du territoire. C’est à la suite d’un long processus que les langues et cultures régionales ont acquis leur statut marginal d’aujourd’hui. En effet, alors que seulement 1% de la population parlait le français en 1533, aujourd'hui ce sont moins de 400 000 Bretonnes et Bretons qui sont en mesure de parler au moins partiellement le Breton ou le Gallo. Le commencement de ce processus est marqué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 signée par François 1er. Devant la multitude des patois locaux, la monarchie avait donc fait le choix d’une langue officielle unique qui remplacerait le latin dans tous les actes de la vie publique. Cette disposition s'accompagnait également d'un certain nombre d'obligations faites à l'église notamment en matière de tenue des registres d'état civil. Mais cette uniformisation a également marginalisé les langues régionales, processus qui s’est accéléré avec la « victoire » des Jacobins sur les Girondins en 1793. En effet, ceux-ci érigèrent le français en arme de combat politique, vecteur selon eux de progrès, de liberté et de « vertu ». Le symbole de cette « francisation » forcée fut le démantèlement organisé du breton. L’enseignement obligatoire instauré en 1881 assurera une forme d'obligation pour chaque enfant à pratiquer la langue française et le service militaire parachèvera ce processus sous la IIIe République. A Partir de 1945 néanmoins, un frémissement législatif laissera croire à un retour (certes très limité et dans le champ de l’enseignement uniquement) des idiomes régionaux. Cependant, seule la loi Deixonne de 1951 marquera un infléchissement en incitant (sans aucune mesure incitative ou contraignante par ailleurs) à l’enseignement du basque, du breton, du catalan et de l’occitan. Mais l'histoire a tendance à oublier l'engagement particulier qui fut celui des communistes Bretons et singulièrement celui de Marcel Cachin dans la défense des langues et cultures régionales.

 


Marcel Cachin et le mouvement Breton.


Natif de Paimpol (22), Marcel Cachin, qui joua un rôle déterminant au congrès de Tours (1920) où la majorité des délégués socialistes choisirent l'option qui allait déboucher sur la naissance du Parti Communiste Français, est moins connu pour l'engagement important qui fut le sien dans le mouvement Breton. Il se lia d'amitié avec Yann Sohier, né le 10 septembre 1901 à Loudéac et mort le 21 mars 1935 à Plourivo, instituteur de l'enseignement public, militant de la langue bretonne et internationaliste, celui-ci est aussi le père de Mona Ozouf.
Marcel Cachin sera le fondateur de l'organisation progressiste et laïque « Ar Falz» (La Faucille). Il crée avec d'autres militants communistes l'association des « Bretons émancipés de la région parisienne » au début des années 1930, et anime son journal officiel War Sao (debout!) à partir de 1937. Cette association se démarque du reste du mouvement breton en soutenant l'émancipation des travailleurs bretons de « toute forme d’oppression, celle du capitalisme et celle de l’Église ». Les « Bretons émancipés » participent à la lutte contre le fascisme, notamment en soutenant les Républicains Espagnols.

 


Les dérives nationalistes.


En septembre 1938, pendant la conférence de Munich ils dénoncent dans « war Sao » les dérives du courant nationaliste de l'Emsav qui voit dans l'Allemagne Nazie «La protection des minorités d'Europe» et au fond une aubaine pour affaiblir la République. Cette partie du mouvement breton lorgnant vers le fascisme, tel Henri Caouissin (qui fut aussi secrétaire de l'Abbé Perrot) allant même jusqu'à déclarer que les « Bretons émancipés » étaient « sinon nuisibles, du moins inutiles à l'action bretonne ». Cette période de la montée du fascisme, de la capitulation de Daladier et de Chamberlain devant les exigences de Hitler qui obtint ainsi des Sudètes constituera un des fondements important de l'inspiration du roman de Jean-Paul Sartre intitulé « Le Sursis ». L'histoire allait hélas nous apprendre comment le régime totalitaire allait anéantir toutes les libertés et les identités minoritaires d'Europe. Mais il reste que cette ligne de fracture issue de la montée du fascisme et de l'occupation va générer des défiances qui marqueront durablement et jusqu'à nos jours les approches des questions culturelles et identitaires en Bretagne.


A ce propos il, est toujours utile de rappeler que si certains utilisaient la prétendue défense de la langue bretonne comme vecteur de leur collaboration avec les nazis, cela n'empêchait pas les FTP (Francs Tireurs et Partisans) de s'exprimer souvent en breton dans les maquis. La signification donnée à l'usage de la langue n'était pas la même ! Dans leur grande majorité, les Bretons faisaient le choix d'une Bretagne trouvant sa place dans une France participant au combat pour sa libération. Pendant la seconde Guerre Mondiale, Marcel Cachin conservera ses positions et son discours revendicatif breton, même quand le le parti communiste s'éloignera des préoccupations régionalistes. Marcel Cachin déposera ainsi en 1947 une proposition de loi en faveur de la langue Bretonne. C'est cette proposition de loi, certes édulcorée de sa substance par ses collègues parlementaires de gauche qui aboutira en 1951 à la loi Deixonne autorisant l'enseignement du breton à l'école.

 


La relance du débat sur le plurilinguisme.


Ce n’est qu’en 1997, avec l’installation du gouvernement Jospin, que la France va relancer le débat politique sur le développement du plurilinguisme. A l’occasion du sommet du Conseil de l’Europe, en octobre 1997 dans son discours, Lionel Jospin déclare que : « Les langues et cultures régionales méritent, de notre part, une attention particulière : nous devons les préserver et les faire vivre ». En l’espèce, la pluralité culturelle est considérée comme un facteur de progrès pour l’humanité tout entière. Dès lors, la question de la ratification de la Charte Européenne des langues minoritaires va être considérée comme l'objectif essentiel à atteindre la planche de salut Européenne étant souvent présentée comme la seule issue possible à la promotion des langues et cultures minoritaires. C'est dans ce contexte que le Premier ministre engagera la France dans la voie menant à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cependant, l’avis rendu par le Conseil d’État en septembre 1996 et les prises de position, hostiles, du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, l'inciteront à la plus grande prudence et la décision fut prise de confier au constitutionnaliste Guy Carcassonne la mission d’examiner la compatibilité de la Charte avec notre droit interne. Selon Guy Carcassonne, rien dans notre Loi fondamentale, ne s’opposerait à la ratification de ce texte européen. Consulté à nouveau sur le sujet, Le Conseil d’État rend sa décision le 15 juin 1999. S’il considère que la plupart des engagements signés par la France ne sont pas contraires à la Constitution, il estime que la Charte, « en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires »dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ». D’autre part, elle contiendrait des dispositions contraires à l’article 2 de la Constitution « en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la “vie privée” mais également dans la “vie publique”. « La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution ». Dès lors, la seule issue pour parvenir à la signature de la Charte était de réformer la la Constitution en vue de relancer le processus. Mais ceci devient un autre débat et force est de constater que tout ce débat gravite désormais autour de la possibilité ou non pour la France de modifier sa Constitution.

 

Et maintenant, il faut avancer!


Mais, dans la mesure où la France a retenu les 39 engagements qui la conduirait à signer cette Charte et que ces engagements ne sont pas considérés inconstitutionnels, rien n'empêche le législateur à les mettre en œuvre dans le cadre d'un texte national. Bref, bien des points pourraient être traités en faveur des langues régionales sans la ratification de la Charte! Et il ne faudrait pas que cette Charte devienne l'objet du désir en lieu et place de la volonté de défendre et promouvoir les langues régionales! Cette attirance pour un texte européen a de quoi troubler… un peu comme si les moyens budgétaires nécessaires à la promotion et au développement des langues et cultures de Bretagne deviendraient plus légers à porter et plus faciles à obtenir lorsqu'ils sont inscrits dans des textes européens! La complexité institutionnelle est un alibi facile à instrumentaliser pour éviter de prendre à bras le corps le sujet. En vérité, Il y a une certaine hypocrisie à se cacher derrière une Charte Européenne parée de toutes les vertus pour ne pas engager résolument une grande politique publique de promotion et de développement des langues et cultures régionales. Cette insistance à vouloir tout mettre sous la dépendance de la Charte Européenne donne aussi des arguments aux souverainistes de tout poil qui y voient un risque d'introduction d'une forme de communautarisme linguistique en France qui ne serait, selon eux, que la première phase d’un communautarisme généralisé. Nous n'avons pas besoin de cela et l'Europe, déjà bien malade, non plus! Mais, précisément, le souci de défendre les langues et cultures régionales au sein du système Républicain qui fonde notre démocratie appelle tout à la fois à engager les actions sans attendre tout en rappelant notre attachement au service public, à la laïcité et au droit du sol comme fondements de l’égalité des citoyens. Tout cela est compatible avec la défense et la promotion des langues et cultures régionales.


Il faut maintenant passer aux actes! Tout retard pris serait coupable et sachons aussi nous rappeler que c'est toujours sur les terres abandonnées aux friches que poussent les mauvaises herbes...